11 octobre 2012
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La fenêtre se ferme
par Ariane Lumen, oct. 2012
L'endroit est joli, le calme y est surprenant. Les lierres grimpent le long de la façade d'une grande maison austère en évitant les fenêtres, pas toujours ouvertes.
Les arbres dans le parc sont magnifiques, majestueux, leurs feuilles murmurent doucement un chant secret au gré du vent, ce souffle chaud qui vient du sud. Dans l'étang où s'épanouissent les
nénuphars, quelques cygnes à l'allure impériale et fière se laissent glisser sur l'eau. A leur passage les
grenouilles sautent à l'eau, peureuses elles sont les seules à troubler le calme de ce lieu; Il y a des bancs au bord de l'étang et on vient s'y reposer, méditer ou seulement regarder quelque
chose dans le vide, vers un horizon qui déjà s'est éloigné.
L'homme assis sur un de ces bancs est mal rasé , un peu de bave se
dessine dans les coins de sa bouche et avec ses deux mains il serre une canne qu'il agite un peu de temps à temps, montrant des choses que l'on ne saurait voir, ni soupçonner . Remuant un peu de
terre parfois et cherchant on ne sait quel trésor qu'il avait enterré ici dans une autre vie. Mais l'avait – il bien enterré ici ?
Le gazon a jauni sous ce soleil torride et les pas des ombres qui passent ici, l'exposition plein sud de celui-ci n'a pas arrangé les choses. Les taupes ont chaud
aussi . Rien ne trouble ce calme ici si ce n'est que la voix féminine au rez de chaussée de la vieille bâtisse, là où une grande fenêtre donne sur une salle. Quelques personnes, presque toujours
des femmes un peu tremblantes, toutes possèdent une canne, je crois, écoutent attentivement la lecture à haute voix du journal de la femme que je crois savoir encore jeune. Elle relate les
nouvelles de la veille : un accident par ci, un assassinat par là, une incendie
d'une grange à foin, le fait d'un incendiare sans doute , et surtout elle insiste sur la météo qui est la même que hier et d'avant hier et qui le sera encore demain. Le temps n'a plus de prise
sur ces vieilles résidentes. Puis la lectrice passe à la rubrique nécrologique du journal. L'attention avec laquelle ces personnes boivent les paroles devient palpable.......souvent elles se
souviennent d'un nom, d'un cousin ou lointain ami dont on n'avait plus de nouvelles depuis des lustres. mais elles sont devenues incapables de mettre un visage ou un nom sur les vieux amants qu'ils étaient. Depuis la fenêtre on perçoit quelques soupirs de tristesse, je crois
que quelques larmes coulent le long de ces visages ridés, où le temps a laissé ses traces.
L'homme assis sur le
banc n'en a rien à faire, l'œil rivé sur l'horizon, fenêtre sur un futur qui n'en est plus. Il s'accroche au bastringage, la brume dans la tête. Il me raconte qu'en son temps il collectionnait
les feuilles mortes, celles qui tombent des arbres, celles qui vous rendent apathique rien qu'à les voir tomber, et qu'il les portaient, quand il y en avait trop, chez un banquier quelque part en
Suisse. Il en a encore des milliers dans son armoire. Et avec un hochement de tête il désigne avec un peu de mépris de « que veux-tu que cela me fasse » une fenêtre ouverte dans le
bâtiment vieillissant derrière lui. Il y en a encore des milliers dans les tiroirs de la vieille armoire dans ce modeste réduit où il passe, quand il ne fait pas beau le plus clair de son temps à
regarder la télévision tout en surveillant ce fabuleux capital.
Soudainement un avion à réaction vient déchirer le ciel azur dans un vacarme infernal laissant derrière lui des traits blancs. Les merles ont peur. L'homme en
déduit tout simplement que l'avion n'est pas d'ici , les traces blanches ne servent qu'à retrouver le chemin du retour. Il le sait car avant, quand il prenait l'avion pour aller en Suisse il
voyait depuis le hublot cette fumée blanche. C'était à la fois sécurisant et pas idiot du tout, si bien que les avioneurs ont vite compris l'intérêt de cette méthode à toujours retrouver le
chemin du retour.
Puis il devient bavard, il semble être en pleine forme, bien mieux qu'avant. Il me dit qu'ici il a tout à portée de main, même un hypermarché qui porte le nom d'un
type qu'il a connu autrefois. A l'école ! Un gars incapable d'écrire deux mots de suite sans quatre fautes d'orthographe. Même quand il écrivait son propre nom il y avait des fautes
d'orthographe, et de ces gens – là , ceux qui ne savent pas écrire , et encore moins leur nom correctement , il faut absolument s'en méfier. Ils sont toujours malhonnêtes !
Il me propose de venir boire un apéritif là – haut...... y aller prends du temps, et pendant ce temps - là il me parle d'un lointain passé, le vague souvenir des
amours fanées , de l'amour oui ! Mais avec qui déjà ? Il y a une gare tout près d'ici, c'est bien pratique, ici on est bien désservi, il pense avoir une carte vermeil quelque part, mais ne sait
plus où elle est. On la lui a sans doute volée, ce salaud de l'hypermarché à coup sûr.
Il faut fermer la porte, car avec la fenêtre cela fait courant d'air, puis il y a des voleurs partout, ils entrent toujours par la porte, jamais par les fenêtres,
d'ailleurs il est sur l'étage ici et seules les lierres osent escalader la façade. Moi je préfèrerais boire un café, mais pas trop sucré. Je le complimente avec son armoire, posée dans un coin,
grandiose et dans laquelle se trouvent les milliers de feuilles mortes qui n'iront jamais chez le banquier en Suisse. Peut-on faire confiance aux banquiers ?
Les plantes s'épanouissent ici, bien plus qu'avant chez nous devant la fenêtre. Il a toujours eu la main verte et aujourd'hui l'exposition plein sud de celle – ci
les avantage, les aide à croître ! Mais il faut les arroser tout le temps ! C'est fabuleux d'habiter ici et moi je pense qu'il est heureux.
Son regard est devenu vaseux, et il regarde à nouveau vers l'horizon comme si c'était une fenêtre par où s'échapper, vers un paradis, vers un lit plein d'avenir
avec une femme dedans, vers des amours éphémères qui ne reviendront jamais, qui ne viennent jamais. Il se met à pleurer maintenant. Ne devrait-il pas être heureux de me voir lui rendre visite ?
Et ne m'avait – il pas dit vouloir encore une fois parler avec moi ? Ne m'avait – il pas dit qu'il n'était plus fâché avec moi ? Qu'il avait tout oublié, pardonné, et que tout allait pour le
mieux ? Que nous avions bien quelque chose en commun.....?
Et pensait – il vraiment qu'il avait tout oublié ? Impossible.
Ici j'étais chez moi, j'étais ici , l' enfant de la maison. J'y étais vraiment chez moi. Mais cela me semble déjà si loin.......mais je me sentais vraiment chez moi
ici.......
La fenêtre se ferme !
Ariane Lumen, artiste peintre, modèle, illustratrice à Saint Georges de Monclar (Dordogne - France)
Contact : alume@orange.fr
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